08 septembre 2024 Néphyla est au ponton G de Ponta Delgada, île de São Miguel, Açores, Portugal.
Le titre de ce blog rend hommage à la phrase d'un type croisé au marché ce matin même. Les açoriens seraient-ils différents ? Nous voici, Florence et moi, Duocéanique reformé à Horta, île de Faial aux Açores, prêts tels les athlètes des JO et JPO à tenir le flambeau et découvrir de nouvelle îles.
Comme d’habitude nous visitons faisons la connaissance des particularités de ces îles avec des yeux émerveillés et les neurones en ébullition. J’aurais voulu vous décrire chaque île de la "Volta do Mar, le « retour de la mer », circuit logique guidé par les vents qui fait faire un tour de l’Atlantique aux voiliers partis d’Europe vers le sud, puis les Caraïbes, pour re
venir par le nord, les Açores puis l’Europe. Mais je ne vais pas décrire chaque île, sinon dans la version longue de mon blog qui ne sera disponible que dans quelques mois, quand j’aurais couché sur le papier et organisé nombre de réflexions, découvertes, plans, recettes, etc. En attendant ce jour béni, je veux écrire ici au sujet de questions qui m’ont occupé durant tout mon séjour aux Açores, du 10 juillet au 08 septembre. J’ai enfin des réponses et je vais ici vous conter les unes et les autres.
Un Marin qui prépare un voyage lit des cartes. Et la lecture de la carte de l’île de Terceira m’interpelle. Deux énigmes s’y cachent. Les deux principales villes de Terceira s’appellent « Angra do Heroismo » et « Praia da Victoria ». Sans parler portugais, on comprend « héroïsme et victoire ». Mais pourquoi de tels qualificatifs à des noms de ville, à ma connaissance, à part les petits villages qui voudraient se faire grands et qui rajoutent « les bains » ou « sur mer », les villes n’ont pas de qualificatif aussi pompeux ni aussi fier. Alors je cherche, je fouille, je sonde, j’ausculte, je fouine, je creuse, j’excavationne, Rien. Je questionne Wikipédia, son grand frère Google, ses cousins, moteurs de recherches plus obscurs, même des livres et des guides… rien n’y fait. Pas d’explication logique, historique, pas de données crédibles qui se tiennent, les infos se croisent et se démontent les unes les autres, Angra est sans doute héroïque mais je ne trouve pas la raison de ce qualificatif. J’entends pourtant parler de bataille… avec des taureaux ! La puce est dans mon oreille…
Mes recherches prouvent que la tauromachie est bien intégrée à l’histoire de Terceira, mais point de « Toro » si héroïque qu’il en aurait donné son nom. Il y a bien une plaza de toro, des arènes, des réunions tout l’été et des joutes, même une énorme statue sur un rond point et une demande de la part d’une députée locale pour faire que la tauromachie locale soit inscrite au patrimoine de l’Humanité… Etrange habitude de tuer des animaux au milieu d’un public en liesse, qui serait si remarquable qu’elle devrait être conservée, honorée, protégée… L’Histoire dira si l’Humanité peut être écrite avec le même grand H pour un Toro à Terceira. Personnellement, j’aurais plutôt écrit Terceira avec un grand V, comme Vaches, il y a en des centaines partout sur toutes les Açores, ce sont avec les hortensias, les baleines et les volcans le point commun de toutes ces îles. Bref, après 2 mois de recherche, je suis Grosjean comme devant : Mais pourquoi donc Angra est-elle héroïque et Praia victorieuse ?
A force de multiplier les mots clefs, je tombe enfin sur une série de petites histoires qui valent bien la Grande Histoire racontée dans les livres d’école. En voici quelques unes : A la mort de Sébastien 1er en 1578 puis d’Henri 1er en 1580, rois du Portugal morts sans héritiers, le roi d’Espagne en profite pour reprendre les provinces que la couronne espagnole avait perdues en 1128. Tout le Portugal est alors espagnol. Tout, non, une île résiste encore et toujours à l’envahisseur. C’est Terceira. Le roi d’Espagne envoi donc une flotte et des hommes en armes pour y établir son pouvoir. Mais c’est sans compter sur la résistance des habitants fidèles au Portugal. 400 puis bientôt 1000 hommes en armures débarquent, armés de canons, mousquets, etc. Les habitants se battent, les femmes résistent et engagent leurs maris à combattre, pas de défection ni de soumission, même les religieux sont de la partie. Justement, un frère augustin du nom de Pedro convainc le gouverneur de l’île d’utiliser les bovins, qui sont en grand nombre sur les pentes proches du débarquement des espagnols, afin de repousser les troupes. Peu conventionnelle, la méthode fonctionne à merveille et la population des villages de Salga et de São Sebastião situés entre Praia et Angra met en déroute les militaires espagnols. Victoire ! Héroïsme !
??? Non, pas de changement de nom. Ce n’est pas ça. Pourtant, ça valait bien une petite récompense, nous étions là le 25 juillet 1581. D’autant qu’un an plus tard, la bataille de Vila Franca do Campo 26 juillet 1582 fait gagner les galions espagnols contre les navires français (qui combattaient à l’extérieur, 0 à 10) et fixait l’extinction du Portugal au profit de Madrid.
Entre 1640 et 1668, le Portugal reprend ses droits, aussi bien sur le continent que dans les îles, Madère et Açores. Cette guerre de restauration a aussi de petites histoires plus ou moins « héroïques et victorieuses » : Le 1er décembre 1640, l’Espagne se bat en Catalogne et n’a pas le temps de contrer une première attaque des portugais à Lisbonne. 40 « conjurés » portugais s’emparent du palais royal, découvrent le premier conseiller de la vice-reine, le courageux Miguel de Vasconcelos, caché dans une armoire. Ils le tuent et le jette par la fenêtre dans les bras d’une foule en délire… Révolution plus ou moins héroïque disais-je, en tout cas victorieuse, laborieusement, progressivement puis totalement, Açores inclues… à l’exception de Terceira, résistante dans l’autre sens cette fois-ci, va comprendre, Charles... Les Açores restent divisées, îles d’escales par définition et situation géographique obligée.
Les neuf îles des Açores vont suivre à leur gré et chacune indépendamment, les espagnols, les portugais, les anglais, les pirates, les cousins, les frères et autres rois parallèles, des alliances avec les français, pour ou contre Napoléon (il a été mettre le binz jusque là, lui ?), des consuls locaux, des juges, des libéraux, des absolutistes, des capitaines généraux, jusqu’à la guerre civile portugaise en 1829 pendant laquelle tout le monde est portugais mais pas forcément d’accord. Un combat royal et fratricide entre Miguel et Pedro se déroule à Praia. Pedro gagne 1 à 0 à la bataille navale, touché, coulé ! Celui qui gagne choisit l’histoire… Praia va s’appeler « da Vitoria ». Et pour Angra do Heroismo ? Et bien il faut attendre1834 où Dom Pedro IV utilise Angra à Terceira comme point de départ d’une expédition qui va amener enfin l’unité au Portugal. En souvenir de son port de départ, Angra va changer de nom et son Héroïsme sera récompensé.
Ouf, c’était bien compliqué, tout ça ! Ce qui est drôle dans tout ça, c’est que l’histoire des Açores, telle que les livres et internet la présente, ne parle pas de petits riens advenus entre temps que je vais citer ici dans le désordre sans les classer ni chronologiquement ni par ordre d’importance, mais qui ont sans aucun doute beaucoup œuvrés à constituer l’histoire autant que les trucs des rois et autres Commandos. Commençons par São Miguel.
Vila do Campo, capitale avant 1522, subit un tremblement de terre, remplacée par Ponta Delgada. Eruption 1444 et 1713 du volcan Sete Cidades, île de São Miguel, cité éponyme lacustre si tranquille et si douce… Eruption 1563 à Agua de Pau, île de São Miguel, cité éponyme lacustre si tranquille et si douce… Eruption 1440, 1630 à Furnas, île de São Miguel, cité éponyme lacustre si tranquille et si douce…
Île de São Jorge, éruptions majeures en 1580 et 1808, mais aussi le 23 mars 2022, 1800 secousses sismiques enregistrées en 3 jours, depuis, rien, très impressionnant tout de même. Je suppose que le prix du terrain à São Jorge ne doit pas avoir beaucoup monté. En plus d’être presque uniquement agricole, elle ne doit pas être la proie des promoteurs immobiliers.
Sur l’île de Faial, la dernière grosse éruption volcanique açorienne date de septembre 1957 à octobre 1958 où les habitants ont du évacuer l’ouest de l’île et ont vu émerger un volcan qui a créé un morceau de littoral supplémentaire de plus d’un kilomètre carré. Grosse fumée, gros cailloux, de la lave, des secousses, les éléments réguliers de ces îles situées aux confluents de trois plaques tectoniques.
Sur toutes les Açores, disparition presque totale de la laurisylve (forêt primaire) au profit des grands arbres, acacias, cryptomerias, araucarias et métrosideros, certes absolument sublimes aux yeux des touristes que nous sommes. Mais pourquoi les hommes transforment-ils ainsi le paysage ? Les différents acacias viennent du monde entier, les cryptomerias du Japon, les métrosideros de Nouvelle-Zélande, les araucarias du Chili. Pour la culture me direz-vous, au profit également de champs laborieusement nettoyés des pierres volcaniques posées en murets tout autour de chaque parcelle et recouverts d’hortensias, qui viennent d’Asie, Chine et Japon et autres fleurs et arbustes, barrières naturelles pour les vaches noires et blanches Holstein originaires de Hollande et qui produisent du lait, du lait, du lait. A São Miguel, il y a une vache par habitant. Le merveilleux grand mélange des choses de la nature par l’homme pour sa survie, sa richesse, ses envies.
Les cultures et exportations de sucre vers le Portugal, de colorant vers la Hollande, d’orange vers la Grande Bretagne entre 1444 et 1860 se sont un jour arrêtées. Une maladie ravage les orangers et on les remplace par du tabac, du thé, du lin, puis de la pêche et de l’élevage. La pêche à la baleine est abandonnée, remplacée par celle du thon et autres poissons. La canne à sucre est abandonnée. Le thé n’est qu’une petite culture aujourd’hui, pourtant il est vraiment fameux, on y a gouthé. Ah, j’oubliai, culture de l’ananas au goût absolument extraordinaire !!! Cultivée sous des serres en verres, recouvertes de peinture à la chaux, la culture est maîtrisée grâce à la fumigation découverte par hasard. En 1874, un cultivateur qui possédait une serre d'ananas s'est rendu compte que les tuyaux du four extérieur qu'il avait sous terre pour se chauffer avaient été percés. Ainsi, la fumée du four était entrée dans la serre. Il croyait la récolte perdue. Il s’est aperçu que les fumées avaient fait maturer les fruits très bien et tous ensemble. Le hasard je vous dis. Les petits ananas, c’est pour manger tout de suite, les gros qu’on laisse pousser, c’est pour du jus, l’export, etc. Tant de petites histoires qui façonnent un paysage, une culture, des agricultures, des vies de pêcheurs, travailleurs et paysans.
Vous avez remarqué ? J’ai découvert un nouveau mot, alors je le place n’importe où. Je le kiffe trop celui-là : Eponyme, on dirait le nom d’une servante de Molière, vous ne trouvez pas ?
- Eponyme, voulez-vous quérir trois cervoises fraiches en fond de cale de notre fier vaisseau et nous les servir sur le pont supérieur, vous seriez bien aimable. Et trois bocks également. Vous vous joindrez à nous, bien évidement… ?
Alerte info dernière minute.
Eponyme vient de changer de prénom, il s’appelle Jérémy, vient du Québec et nous rejoint sur Néphyla pour la dernière traversée. Bienvenue.
A venir dans le prochain blog, les oiseaux, les baleines, les arbres, quelques remarques agricoles et encore des vaches, des volcans, des eaux ferrugineuses, des piscines naturelles, des fajãs, une certaine architecture, des services publics, des pavés et des passages piétons, la traite négrière, Vasco de Gama et Cabral, les cloches des Açores, des jardins botaniques, des papillons, des grenouilles, des oiseaux, des canards, sans oublier des flonflons, du musette et de l’accordéon. Chauffe Marcel, chauffe !
P & F
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