16 septembre 2023 Néphyla est ancrée dans une marina improbable au milieu d’un village fantôme. Ainsi commençait mon précédent blog. Pourquoi tant de mystère autour d’un petit port visiblement si charmant ?
Le premier regard sur Madère après la traversée depuis Porto Santo a été pour ce village au bout d’une presqu’île volcanique de toute beauté. Les maisons, toutes différentes, avec une unité architecturale parfaite, on se croirait à Disneyland, un village fait de maisons de poupées. Après deux jours, quelques questions et quelques réponses, il s’avère que tout ça, toutes ces maisons, ces rues, cette piscine d’eau de mer, ce petit phare, tout ça est vide. Il n’y a aucun habitant. On n’a pas le droit de s’y promener, la plage est barrée et un garde la surveille, même la nuit. Pas une lumière le soir dans aucune maison. Rien. Un village mort, un village fantôme.
Mais tous ces ouvriers qui y travaillent tous les jours, bardés de leurs chasubles jaune fluorescent, que font-ils ? Toutes ces baignoires cassées posées devant chaque porte ? Ces tranchées creusées le long de presque toutes les rues ? Et le gardien du portail là-haut, qui filtre les entrées et les sorties ? Pourquoi nous laisse-t-il passer alors qu’il ne nous connait pas et pourquoi interdit-il aux autres touristes d’entrer vers le village et le port ? A quoi sert-ce et comment se peut-ce, où suis-je et dans quel état j’ère ?
Tout ce micmac m’a fait penser au feuilleton de ma jeunesse « Le prisonnier ». Un homme est « coincé » dans un village duquel il ne peut s’échapper (vous vous souvenez de la grosse boule blanche mystérieuse…). Il ne sait pas pourquoi ni comment il est arrivé là, ne comprend pas les autres habitants qui font comme si tout était normal alors que pour lui rien ne l’est. Quinta do Lorde, sur l’île de Madère, est « le village » et c’est nous qui sommes les habitants « innocents », matricules 7 et 8. Bizarre sensation. Très bizarre. Je viens de revoir le premier épisode sur youtube. Flippant. Evidemment, ça a un peu vieilli, mais l’ambiance est là. La même qu’ici !!!
On a d’abord pensé à un hôtel de luxe qui aurait fait faillite à cause du Covid. On y était presque. Faillite il y a eu mais un an avant le covid. Le village était un hôtel de luxe 5 étoiles. On se demande s’il y a eu un jour des gens là tellement c’est vide aujourd’hui. Les ouvriers travaillent pour une société qui a racheté tout le village pour la moitié (parait-il…) du prix demandé, 50 ou 100 millions d’euros… Qu’importe le prix. Mais que ne furent les surprises après le rachat. La nouvelle société s’est aperçue que certaines des maisons n’étaient pas fonctionnelles. Elles n’avaient pas de réseau. Je ne parle pas d’internet mais des réseaux d’eau, arrivée et eaux usées, ni réseau électrique non plus. Une partie des maisons de ce village ne sont même pas viables. Un village vraiment fantôme, dans le sens propre du terme. Comment en est-on arrivé là ?
Un projet : Une marina qui fonctionne et un hôtel 5 étoiles, isolé du tourisme de masse, proche aéroport, all included ! Tous services. Et en plus le climat y est sec contrairement au reste de l’île de Madère (Madère est très (très très !) humide, voir le chapitre sur les lévadas). Joli projet, beaucoup trop « élite » pour mon goût mais bon… Sauf que le terrain est en zone Natura 2000. Une législation pour protéger la nature qui interdit ceci et cela, notamment les nouvelles constructions. Qu’à cela ne tienne, le projet sort de terre et commence une course de vitesse entre ceux qui protestent (des légalistes, sans doute aussi des écolos) et ceux qui veulent développer le tourisme à n’importe quel prix. Il faut finir les maisons au plus vite et ouvrir cet hôtel pour bloquer toute fermeture administrative, vu que quand l’hôtel sera plein, on ne pourra plus faire grand-chose, il faudra alors sauvegarder les emplois, les revenus du tourisme, les impôts générés, l’image de l’île, etc. Alors sur un terrain non constructible, on a construit un village d’environ 500 âmes, dont un gros pourcentage, je le rappelle, sont totalement factices, absolument vides de sens, sans électricité, ni eau, ni réseau d’évacuation.
Je crois qu’il existe partout dans le monde ce genre de lubies, de fantasmes, de petits Poucets qui voulaient se faire plus gros que Goliath. Ici au Portugal, à Madère, ce projet a été financé par le FEDER (fonds européen de développement régional). Les pouvoirs locaux, les juges, les préfets, les maires, le gouvernement local, les autorités administratives espagnoles, européennes et j’en oublie certainement, ont failli à leur tâche, incontestablement.
Et ce à tous les stades, au moment de l’analyse du projet, de son financement, de sa faisabilité, de la construction, etc, à toutes les phases de ce village le mot « fantôme » peut être associé, pour ne pas dire « arnaque ». Et que dire de sa gestion avant 2020, financièrement non rentable ? Et de son rachat ? Et que dire du futur, quand ils auront finalement réinstallé l’eau et l’élec dans toutes les maisons ? Le village va ouvrir ? Pour qui ? Que va devenir la marina ?
Le petit vendeur d’un des 3 magasins de ce village connait son futur. Dès que le village ouvrira, on installera au lieu et place de sa boutique un resto tapas ou un bistro rhumerie ou un fastfood de luxe. Adieu le magasin de la Marina.
P&F.
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