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  • Photo du rédacteurFlorence et Pierre

L'Atlantique (2) Jusqu'ici ça va... jusqu’où ?

16 janvier 2024, Néphyla continue son vol entre le Cap vert et la Martinique

Nous sommes assis dans le cockpit, Florence à la barre et moi à tirer sur des ficelles aux noms compliqués qui servent toutes à quelque chose… à quoi, cela reste encore un peu mystérieux à mes yeux. Nous sommes sur le plan d’eau des pertuis, devant La Rochelle. Soudain nous apercevons derrière nous, qui vient par tribord dans notre sillage, un voilier avec un mat immense, une voile noir et rouge, décorée. C’est Yannick Bestaven qui quitte son port d’attache pour aller se présenter au ponton des Sables d’Olonne, concourir au Vendée Globe Challenge 2020/2021. Il passe tout près et nous sentons son souffle puissant et rapide nous dépasser. Nous décidons que Yannick sur « Maître Coq » sera notre navire chouchou, notre favori. Nous allons le suivre pendant les quelques mois de cette folle course. Yannick a gagné le Vendée !! Yannick nous avait croisés, l’esprit de Néphyla lui a porté Chance.

Nous sommes assis dans le cockpit, Florence à la barre et moi à tirer sur des ficelles dont je connais les noms et comprends bien mieux à quoi elles servent. Soudain nous apercevons au nord une immense voilure noire, une grand voile et un grand genaker gonflés par les alizés qui file 30kt, cap au 180°. C’est Charles Caudrelier sur Gitana17, alias Edmond de Rotchild, un trimaran sur foil, qui concoure dans la course autour du monde en solitaire « Arkéa Ultim Challenge ». Il est parti le 07 janvier de Brest avec 5 autres « ultimes ». Quand on croise la route de Charles, nous sommes le 12 janvier. Quand j’écris ces lignes nous sommes le 27 janvier et Charles vient de doubler le Cap Leeuwin, au sud de la Tasmanie et commence sa traversée de l’Océan Pacifique… Nous avons fait une demie traversée de l’Atlantique par le côté le plus court, il a fait une demie traversée du globe !

Ô tempora, Ô mores, Ô navis velifera ! Autre temps, autres mœurs, autre voilier.

Espérons pour Charles que cela lui porte chance. En tout cas l’esprit de Néphyla le porte à la première place.

Pour lui, jusqu’ici, ça va…    jusqu’où ?



Mardi 16 janvier : Ces dernières 24h, Néphyla aura parcouru 136 miles. Ça accélère. Le vent fraîchit et la mer grossit ; 18 à 20 kt de vent en permanence et la mer des vagues a prit le pas sur la grande houle de Nord. Le cul de Néphyla est frappé de quelques claques de temps en temps, les fameuses trois vagues, par le travers arrière tribord. Ça éclabousse un peu. Mercredi soir et surtout vendredi et samedi prochain, ça va encore monter. Notre stratégie est simple, réduire la voilure et faire du nord en journée quand on peut, pour relâcher la pression en donnant du sud la nuit. Notre estimation première du meilleur trajet pour cette transat, à savoir suivre le 13ième parallèle a été payante jusqu’à maintenant. Espérons que cela continue. La zone orangée/rouge de nos modèles (vent plus fort) couvre toute la zone entre nous et la Martinique. Ca va fuser grave ! Economiser les hommes et le matériel, j’ai confiance en Néphyla, ça va le faire.

Jusqu’ici, ça va…    jusqu’où ?

Bravo à Doo-It qui suivent notre sillage et nous talonnent à une journée derrière. Ils viennent de Méditerranée (l’accent d’André ne laisse aucun doute à ce sujet). André a clamé haut et fort que la comédie était terminée, ils sont passés par le détroit de Gibraltar en bravant les fameux vers de Dante :

Quella foce stretta

Ov’Ercole segno il suoi riguardi

Accioché l’uom più oltre non si metta

Que l’homme se garde de poursuivre sa route

Au-delà de la voie navigable

Où Hercule posa ses signes en guise d’avertissement. 

Il faut que je vous raconte ce qu’il s’est passé il y a deux jours. Florence était dans la cabine arrière pour se reposer et je tentais d’écrire quelques lignes de ce blog.

Soudain : KLANG ! Moi, j’ai pris ça pour une grosse vague venue frapper notre voilier. Florence non. Elle a tout de suite su que ce n’était pas de l’eau mais un bruit mécanique. Elle me crie « ça fait du bruit à l’arrière ! ». Je fonce dans le cockpit à l’extérieur et regarde derrière pour voir si on a heurté quelque chose, mais rien dans le sillage. Un regard partout et je m’assoie et prend la barre dans la main. Elle est toute molle. Arghhh, Damned !! Florence me rejoint. Elle me dit que le bateau ne suit pas le bon cap. Très bizarre, le bateau répond mais la barre est vraiment étrange. (J’ai envie de me mettre à genoux et de prier St Patrick, le patron des safrans… clin d’œil sympathique à notre ami qui a perdu le sien entre les îles canariennes, voir les épisodes précédents).

Le safran ! Pour les non initiés le safran permet de diriger le bateau, comme les roues avant d’une voiture, pour les initiés, un problème de safran c’est la merde et ils le savent ! Il faut arrêter le bateau en le mettant à la cape. A la réflexion après quelques heures, la solution de se mettre à la cape si le safran est cassé ne marche pas, mais ça, c’est après quelques heures à réfléchir. Reprenons…

Nous sommes à la cape. Florence plonge dans le carré chercher la caméra Go-Pro qui pour une fois ne va pas servir à filmer nos petites histoires de touristes mais confirmer sous l’eau que la bête (le fameux safran) est toujours vivante. Je m’attache et laisse traîner mon bras avec la caméra dans la mer. Je vous jure que ça fait bizarre, on est loin du Monde du Silence de Cousteau. Le safran est là, rien de visible, rien de négatif, le safran est efficace mais juste totalement mou, quasi libre, léger comme une vieille chaussette usée balancée par le vent au bout de son fil à linge.

Alors cela veut dire que le bruit de tout à l’heure venait du pilote automatique. Il faut donc aller au fond de la chambre, au bout du lit, il y a une trappe en bois qu’il faut dévisser, enlever le matelas (avant, il faut sortir toutes les caisses de nourriture qui y sont stockées, les oreillers, draps et couette), glisser la tête et le bras droit dans le trou et trouver le souci de ce pilote automatique en tenant une lampe torche avec le bras gauche dont le coude doit plier dans l’autre sens et la main (gauche) doit avoir le pouce à gauche aussi ( ???) sinon, ça ne passe pas... Mon corps ressemble à celui d’une poupée Barbie démontée par une petite fille et remontée à l’envers par une autre petite fille : Tout tordu. Une heure et demie plus tard et un peu de mécanique à la « Mike Giver » en sus, le pilote automatique re-fonctionne. Ouf, jusqu’ici, ça va…    jusqu’où ?

Moitessier, le voyageur/écrivain aurait rajouté : « Les jours succèdent aux jours, jamais monotones. Même lorsqu’ils peuvent paraître exactement semblables, ils ne le sont jamais tout à fait. Et c’est cela qui donne à la vie en mer cette dimension particulière, faite de contemplation et de reliefs très simples. Mer, vents, calmes, soleil, nuages, oiseaux, dauphins. Paix et joie de vivre en harmonie avec l’univers. »

Bohème à terre nous soutient avec de gentils messages journaliers sur le téléphone satellite, Mala nous donne des nouvelles du temps qu’il fait 150 miles devant nous et Doo It des nouvelles 150 miles derrière. Nous sommes les seuls à pêcher et à attraper du poisson, la transat a passé son point milieu, il reste moins de 1000 miles à naviguer pour arriver en Martinique. 

Samedi 20 janvier : Sur le livre de bord sont consignées les informations suivantes :

00h30  vent 23kt / 095°   Mer 2.5m    Génois réduit  Cap 280°    13°49’N       050°17’W

04h30  vent 22kt / 095°   Mer 2.5m    Génois réduit  Cap 285°    13°51’N       050°37’W

09h30  vent 23kt / 095°   2.5m grains Génois réduit  Cap …        …                

Et ainsi de suite, toutes les 4 heures (sauf quand on oublie…) nous notons l’heure, la force et la direction du vent, l’état de la mer, des vagues, la voilure installée, le cap du bateau et la position en latitude et longitude. A Mindelo, nous étions au 025°10’W de longitude, nous sommes au 050°37’W ce qui signifie que nous avons progressé vers l’ouest. Tous les 15° vers l’ouest, il faut recaler nos pendules, horloges, tablettes, téléphones portables pour corriger notre décalage horaire. En arrivant en Martinique, nous serons passés depuis La Rochelle du méridien de Greenwich (le même que Paris, mais pas la même heure, GMT+1) à celui de Lisbonne, Dakar, Rio de Janeiro et enfin Buenos Aires où l’heure sera UTC + 5… Je ne sais pas si vous avez compris, mais une chatte n’y retrouverait pas son veau !

Dimanche 21 janvier : ETA Jeudi 25 janvier à 03h30 au Marin, Martinique. (ETA : estimated time arrival, date estimée d’arrivée). Nous avons parcouru 125 nautiques ces 24 dernières heures, il nous reste 315 miles à faire. Mon pote Jean-Mi qui a vu les fichiers météo nous encourage pour nous persuader que nous pouvons le faire.


Ti’punch, Ti’punch, tu m’entends déjà ?

Pas de réponse, pourtant le vent est fort maintenant et porte loin ma voix. Les vagues aident à porter le message, ces vagues qui sont aujourd’hui un peu plus haute qu’hier.

Ok, jusqu’ici, ça va…            …mais jusqu’où ?

 

P&F


La suite dans l’épisode 3 :  La vague


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