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  • Photo du rédacteurFlorence et Pierre

L'Atlantique (3) La Vague

Néphyla espère continuer son vol jusqu’à la Martinique

Mais Cornandieu de Puisangrain, qui c’est qui m’a inventé une météo et une mer pareilles ! Manquerait plus que le pilote automatique ou le moteur tombe en panne.

Pfff Pierrot, même pas de suspens, tu dis déjà ce qui va se passer, tu dois tenir le public en haleine, tu dois lui donner l’impression d’une progression dramatique, amener les événements les uns après les autres, la tension doit monter au fur et à mesure du récit, du genre :

-Veuillez éloigner les enfants et les personnes sensibles de l’écran les images qui vont suivre peuvent heurter un public non averti. Et puis quelques paragraphes plus tard, tu ajoutes :

-Ah ah, on aurait voulu écrire un scénario à suspens, on aurait eu qu’à prendre un enregistreur et à appuyer sur ON.

Ok, j’essaye, reprenons le récit le mardi 23 janvier, que dit le journal de bord ?

16h30  23à 38kt 090°  3m croisée grains Génois réduit max Cap 290°   14°10’N    057°44’W

Tu parles chinois, Pierrot, ils ne comprennent rien à tes chiffres.

Ok, j’explique. On est en plein après-midi, 16h30, le vent d’Est souffle fort avec des rafales à 70km/h, une mer croisée, donc des vagues de 3 mètres de haut qui viennent de plusieurs directions différentes, la voilure est vraiment réduite, 12m² environ (habituellement on porte 70 ou 80m²), on est à moins de 350km de l’arrivée.

Bon, c’est mieux, alors maintenant il se passe quoi ?

Ben je l’ai dit, le pilote automatique et le moteur en panne

Je t’ai dit de faire une progression, Pierrot, d’annoncer les événements les uns après les autres

Ben en fait, tout est arrivé presque en même temps.

Quoi, tu veux dire le vent et les vagues et la mer et le pilote et le moteur ? Tout en même temps ?

Comme tu l’as dit je vais faire une progression.

A partir de maintenant ça va progresser ? Il va y avoir plus de suspens que ça ?

Ben oui, je raconte la réalité, comme tu l’as dit, on aurait eu un enregistreur, on n’avait qu’à retranscrire et la fin du film était dans la boite.

Mais c’est un film d’horreur, ton truc ! Raconte, Pierrot, j’en peux plus d’attendre, raconte ce qui s’est passé.

Mais non, mon jeune Padawan, pas un film d’horreur, juste la vie de Florence et Pierre, les dernières heures de la traversée et c’est vrai, elles n’ont pas été faciles. Alors je fais des effets de plume, ce n’est quand même pas rien de traverser l’Atlantique en voilier, en couple, sans beaucoup d’expérience hauturière.

Public chéri, tu es averti, je suis sous un cocotier, sur une plage de sable blanc, un Ti’punch dans la main droite, un planteur dans la main gauche, Florence et Sandra discutent debout dans l’eau chaude et transparente des tropiques, Jean-Mi s’est endormi sur sa serviette à côté, Mala est au port, Doo It aussi. On a mangé du boudin antillais, du poisson frais et de la langouste. On est loin d’un film d’horreur, tu vois.

Voilà le récit de notre fin de transat.

Quelle était la situation déjà ?

CRACK ! Le couvercle des toilettes vient de casser (rire), à force de nous soutenir alors que les vagues vont de droite et de gauche. Il faudra, arrivés au Marin faire un peu de mécanique. Il ne faudra pas oublier aussi de remplacer la manille qui tient le génois car une partie s’est dévissée et est partie à la mer et j’ai du la réparer quand les vagues ne déferlaient pas sur l’avant du bateau, il y a deux jours. On commence à avoir une petite liste de travaux, j’avais peur de m’ennuyer devant l’eau bleue… je rigole.

BIP BIP BIP. Le pilote automatique ! C’est le détecteur de changement de cap. Cela veut dire que les vagues majoritaires qui guident le réglage du navire et qui nous arrivent droit dans l’arrière, sont perturbées par des vagues grosses également, qui nous arrivent de tribord. Elles déstabilisent Néphyla qui fait des embardées de plus en plus grandes. Ça monte depuis l’arrière à droite, ça fait tourner le cul qui part à gauche, la vague descend et le pilote corrige mais l’autre vague est déjà là qui recommence le décalage et quelques fois, le virage est tellement important que l’automate qui calcule la trajectoire nous indique que le changement de cap a dépassé 45° (c’est beaucoup, même un non initié comprend ça).


« Alerte, vous dérivez, les amis, je reprends ma route avec le bon cap mais je sonne le rappel, cette situation ne peut pas durer… bip bip les amis, bip bip…». 


Florence et moi regardons la mer. Les vagues de travers sont plus grosses et plus fréquentes. Nous avons déjà réduit le génois au maximum, la voilure est adaptée à la situation et au vent. Plus grand, Néphyla ferait de plus grandes embardées, moins grand Néphyla n’irait pas assez vite et perdrait trop de vitesse dans le creux de la vague et serait moins contrôlable. Si le pilote « décroche » plus souvent, il faudra barrer nous même, on ne peut prendre le risque de se retrouver « travers à la vague ».

Nous regardons le ciel.

Un nuage un peu plus noir que les autres pointe son nez directement derrière nous et va donc nous délivrer son « grain ». Un de plus aujourd’hui, ça n’arrête pas. Un grain, c’est une sorte de petite ondée crainte des navigateurs car le vent monte d’un coup, la mer est chahutée et de grosses gouttes s’abattent sur le bateau brouillant la visibilité. Je m’habille pour tenir le coup, la petite veste étanche, le gilet de survie attaché à la cadène du cockpit, un coussin, les gants, la capuche et les pieds nus, il fait quand même 30° et je suis au soleil.


« Vient Eole, vient Poséidon, vient Neptune, quelque soit ton nom, je t’attends, je suis prêt, vient la vague, le vent et la pluie, Néphyla est faite pour toi, Florence est là, qui guette depuis la cabine, je suis assis, la barre à la main, VIENT !!!


Les vagues à l’avant du grain sont grosses, le vent monte à 35kt, les haubans sifflent, je regarde le génois pour maîtriser la trajectoire. Si je pousse sur ma barre gentiment, si je remonte au vent un tout petit peu, Néphyla est pile en vent arrière, le cul aux vagues. Tout va bien. Mais les vagues, les autres, celles qui viennent de tribord gâchent tout ce bel ordonnancement et font pivoter le voilier, je dois tirer ma barre, mais si je tire trop, le génois dévente et claque si fort qu’il pourrait se déchirer.

Tout doux mon Pierrot, tout doux, tu dois sentir le vent et les vagues. Mais c’est impossible à cause des ces damnées traversières qui forcent de plus en plus. Le grain est là. La pluie cingle, le vent siffle, on ne voit plus rien, les vagues sont plus grosses.

Merde Pierrot, fais quelque chose.

Je me retourne et décide de diriger Néphyla uniquement en regardant vers l’arrière, les yeux face aux vagues qui pour moi, à ce moment là, sont plus importantes que le vent. Elles pourraient faire…

 

Je connais des bateaux qui s’en vont deux par deux

Affronter le gros temps quand l’orage est sur eux

Je connais des bateaux qui s’égratignent un peu

Sur les routes océanes où les mènent leurs jeux

 

Concentre-toi Pierrot, regarde les vagues. Regarde comme elles sont brillantes, couleur d’Obsidienne sous la lumière du nuage tropical, zébrées des filaments blancs déchirés par la force du vent et emportés avec les embruns qui envahissent l’air et chargent ma respiration de sel qui épice ma bouche.


Vient Poséidon, je suis prêt ! VIENT !!


La vague est venue. Elle était très grosse. La deuxième d’une série de trois, comme d’habitude. Comme toutes les trois minutes environ, un trio d’ondes dépasse le reste du groupe et déborde tout.

La première était bien au-dessus du portique des panneaux solaires, je n’ai pas vu sa crête, elle la dépassait. Mes yeux sont rivés à sa forme et je laisse l’instinct de mon bras guider la barre et le safran de Néphyla pour rester dans la bonne ligne. La première est énorme. Nous surfons, un long surf mais je ne peux tourner le regard vers le speedo, l’indicateur de vitesse.

Pierrot, maintenant, c’est le moment, c’est ELLE.

Putain Pierrot, écoute ce ronflement, C'EST ELLE !

The Toughest row of my life, my good fellows, the thoughest is coming !




 Il faut que je vous raconte un truc drôle. Le nom de famille d’André (bateau copain Doo It) est Blondin. Ca m’a fait rire le jour où il me l’a dit à El Hierro aux Canaries, parce que Blondin, c’est également le nom du Bon, dans le Bon, la Brute et le Truand, alors quelques fois, pour rire je l’appelle « Blondin », en criant fort avec un accent, comme fait le Truand à la fin du film. Anton (du bateau copain Mala) c’est la brute, il est fort comme un slovène, des bras à toutes épreuves, un physique d’athlète. Finalement, c’est moi le Truand dans le trio infernal parti de Mindelo traverser ce sacré Océan Atlantique. Quand on s’écrit, Blondin et moi, il m’appelle gentiment le Truand, j’aime bien.


Bon, on y retourne ?

Pierrot j’ai peur là, j’ai peur.

Mais tout le monde a peur, jeune Padawan, il faudrait être fou pour ne pas avoir peur, ou tout du moins avoir une conscience aigue du danger réel que représente la mer et sa force. Aller, va, on y retourne…

Alors puisqu’il faut y aller, raconte-nous la vague.


ELLE est gigantesque. Je le sais bien, la première était très haute, celle-là est encore plus profonde, c’est évident. C’est elle et moi maintenant. Le creux laissé par la première fait comme un V, Néphyla passe en une seconde de la descente à la montée. Elle nous cueille, nous emporte, nous soulève, nous happe, nous propulse, nous satellise à son sommet. Mais ça monte encore, le bateau est presque à l’horizontal, la poupe légèrement pointée vers le bas. Le bateau accélère. Soudain, comme dans un surf, Néphyla est entourée de mousse blanche, d’écume générée par sa coque qui fend l’onde et la coupe en des milliers de gouttes mêlées à l’air. Mais ce n’est pas un surf ordinaire. Néphyla se sustente bien trop longtemps à la crête de ce monstre. Néphyla accélère encore. Mes yeux vont à la vitesse de l’éclair passer de la poupe, pour garder la trajectoire, à l’alentour pour la mousse, au speedo et à ma main que je sens irréellement tenir la barre. Car je me bats. Elle veut m’échapper et partir en travers, capituler devant la force de la montagne d’eau mais je ne lâche pas.

Pierrot, le bateau s’incline vers l’avant.

Je te tiens, Néphyla tu es à moi, ensemble nous allons plonger et continuer ce surf infini, mais je ne te lâcherai pas. La mousse est partout autour, mes yeux tournent et regardent avec effarement le speedo indiquer 9 puis 11, encore un tour, la mousse, tenir la barre, 13 nœuds, l’horreur, Néphyla que se passe-t-il ? 15 nœuds AHHHH, Néphyla je ne sens plus ma main, la barre se ramollit, on y est Néphyla !!!! 17 nœuds, c’est impossible, la mousse, mon bras, le noir de l’eau, le bruit qui avait tout envahi retombe. Oui, je crois que c’est le bruit qui s’est transformé qui m’a dit que le combat était gagné, que ces 7 ou 8 secondes de surf s’arrêtaient enfin.

La troisième vague ?

Et bien la troisième vague, jeune Padawan, elle était sans doute très grosse, mais je l’ai prise avec calme et attention car au fond de moi, la rage d’être resté droit devant cet immense défi m’a donné la confiance pour finir ce trio de vagues infernales. Je n’ai plus lâché la barre, j’ai juste fait le job en regardant chaque vague. C’est la mer, quand même, elle ne s’arrête pas, il faut barrer, tenir, tenir encore…

Florence, le Bon, la Brute et le Truand… le trio infernal des navigateurs, Jean-Mi à terre avec Sandra, nos enfants, Gil, la vie, ah oui, je me souviens, la vie. Je me souviens des trois vagues, je n’entends plus les haubans, la pluie a cessé, Florence ne me quitte pas des yeux, elle m’a entendu crier, je ne me souviens plus de mes paroles, mais elles s’adressaient à Eole, Neptune et à tous leurs copains de toutes les Olympes.


Je suis à la barre de Néphyla et Néphyla peut tenir la vague et Cornandieu de Puisangrain, Néphyla est un bon bateau. RRAAAHHHH !!! 

 

Note de la rédaction (c’est aussi moi, LOL) :

La vitesse critique d'un voilier "à plat" (sans vague ni courant) se calcule grâce la longueur de la ligne de flotaison. Vc= racine carré long flot en pied * 1.34 Pour Néphyla le calcul donne 7.2 noeuds. Même si le vent est fort, la vague générée par le bateau lui même l'empêche d'aller plus vite.

La vitesse max d’un voilier est atteinte lors des surfs (et/ou quand il y a du courant), quand le vent vient de l’arrière et que les grosses vagues emportent le navire, le font descendre et accélérer, le font surfer sur sa partie arrière uniquement, cela dure environ 1 seconde, à peine plus pour les plus longs surfs. La vitesse max pour un voilier de 36 pieds de long avec la forme de Néphyla est rarement et au maximum de 8,5 ou 9 nœuds. Une fois avec Jean-Claude sur Tobago, nous sommes allés jusqu’à 10 nœuds. Florence avec Atouva, un voilier de course aux formes modernes et larges sur l’arrière a été jusqu’à 14 nœuds grâce aux vagues.

Pourquoi et comment Néphyla a-t-elle pu atteindre la vitesse de 16.8 nœuds ? Je ne sais pas. Je suppose que… Je ne sais pas.

C’était la vague.

Oui, c’était la vague.


P&F

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