30 octobre 2023 Néphyla est au ponton à Puerto Rico, au sud de notre quatrième île des Canaries.
A Gran Canaria, le dieu des volcans Héphaïstos s’est bien amusé. Je n’ai pas compté le nombre exact de petites et de grandes butes pointues mais il y en un bon paquet. C’est une île tout ronde, comme une pizza. Je veux parler de la pizza du chef, vous savez, la plus chère, encore plus complète que la pizza complète elle-même. Il y a tout dessus, tomate, crème fraiche, jambon, fromages…Tout !
C’est le mélange nutella/anchois de la pizza du chef. Bof bof, drôle de goût ta pizza, Pierrot.
Puerto Rico sera notre base pour la quinzaine, petit port touristique dans une double crique très chouette mais absolument recouverte partout partout d’immeubles (à 50% locatifs touristes à 50% locaux retraités espagnols et européens, dixit le mec du port). Il y a au centre ville une série de centres commerciaux. Vous avez bien lu : une série.
Sur 1.5km s’accumule les boutiques internationales dont aucune n’est typique ni nécessaire à la vie basique, à part celle qui vend des maillots de bain et crème solaire, juste au bord de la plage. Les touristes qui viennent ici passent leur temps à manger au resto (ça c’est plutôt nécessaire), bronzer sur leur terrasse ou à la plage (c’est le but de ce genre de vacances, ok) et flâner dans les magasins (ça c’est moins obligatoire). Surtout que ce sont exactement les mêmes magasins que l’on trouve chez eux (Suède, Norvège, Danemark, Finlande, Angleterre, Allemagne, les drapeaux qui flottent partout le long des rues signalent à qui appartiennent ces rues…). Ces magasins sont en double sur notre planète. Une série en Europe du nord, là où vivent les gens, une série ici sur le lieu de leurs vacances, pour ne pas qu’ils se sentent perdus dans un monde sans magasins. C’est une drogue dure, aussi dure que du basalte volcanique.
On roule 10km vers l’ouest, on croise deux criques qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à Puerto Rico. Si on était partis dans l’autre sens, cela aurait duré comme ça 60km jusqu’à Las Palmas, Gran Canaria, la capitale. Les côtes Sud et Est sont recouvertes d’immeubles pour touristes partout où c’est possible. Ce qui n’est pas immeuble est zone commerciale ou zone industrielle. Chaque km² un peu près de la mer, le long de l’autoroute, est utilisé. Comme à Lanzarote, Fuerteventura ou Ténérife, la géographie compliquée des volcans a obligé des implantations sur le même modèle. Même si ces îles sont très différentes, elles ont des similitudes liées à leur origine.
La part de pizza avec seulement la croute.
La côte Ouest est sauvage, vide, désertique, pas d’homme, pas d’habitation, que des falaises qui tombent à pic dans la mer, des rochers découpés et éparpillés façon puzzle, c’est beau à couper le souffle. On s’arrête pour admirer le paysage dès que l’on peut sur le serpent d’asphalte pas toujours propice à ces haltes vu le nombre de virage au kilomètre. D’ailleurs, la moyenne horaire sur ces petites routes est franchement ridicule. 25 à 30 km/h max. Ca tourne, en charentais, on dit « ça viroune ».
Toujours sur le côté Ouest de l’île, un lieu particulier attire notre regard. Le panneau indique « Azulejos ». Normalement, ce nom espagnol ou portugais désigne du carrelage, un ensemble de carreaux peints. Le long des pentes abruptes, mère nature nous a concocté un truc de dingue. Des azulejos dessinés par les différentes couleurs des oxydes métalliques qui sont sortis de terre il y a quelques millions d’années. Remarquables de loin, c’est encore plus impressionnant de près. On peut se garer face aux falaises et admirer les violets, roses, bleus, jaunes, blancs, ocres, marrons, rouges, noirs, azurs, bruns, gris, etc. Un arc en ciel chimique de toute beauté gravé dans la roche.
Le boulot d’écrivain-voyageur n’est pas facile, croyez-moi. J’ai un problème avec ces azulejos. Comment trouver le nom des oxydes métalliques suivant les couleurs de la roche ? J’ai essayé avec google mais la chimie des volcans est plus compliquée que prévue avec ce que j’ai de neurones en stock. En gros, ce que j’ai compris, c’est que les roches magmatiques qui remontent dans les cheminées d’un volcan sont très différentes les unes des autres suivant la profondeur à laquelle elles se trouvent au début de leur trajet, leur viscosité, la température, la densité et même le degré d’humidité dans l’air au moment de l’éruption ou de la coulée ou même en milieu anaérobie avec un phénomène "hydrothermal". Plein de choses « physiques » qui entrainent des conséquences « chimiques » quand elles sortent de terre à l’extérieur. Elles se combinent entre-elles (ou pas) et donc les métaux présents, quand ils se solidifient et/ou se cristallisent, ont des teintes différentes. Les oxydes de fer peuvent être jaune, ocre, rouge, marron, le cobalt est bleu, le cuivre est vert ou bleu, le manganèse violet ou brun, le chrome vert jaune ou rouge, le nickel brun, verdâtre ou gris, etc. La palette d’Héphaïstos est fournie, joli dessin !
La part dessert de la pizza.
Continuons notre tour de l’île par le Nord-ouest. La Aldéa de san Nicolas s’offre à nous d’un seul coup, en un virage. Une immense vallée absolument superbe coincée entre deux faces de montagnes volcaniques quelques fois à la verticale, puis en cône, signe d’éboulis dus à des millions d’années d’usure du temps. Dans sa partie basse enfin fertile, comme le prouve les serres de plantations de bananes (et de tomates), recouvertes de filets de bâches blanches qui protègent contre les nuisibles. J’imagine que ces nuisibles sont des insectes, des maladies, en fait le personnel que j’ai interrogé à l’entrée des serres ne savait pas vraiment. Eux, ils font ce qu’on leur dit de faire. L’agriculture intensive dans toute sa splendeur. Au fond de la vallée, la mer.
La roulette pour couper la pizza.
Cette partie de l’île a été l’objet d’un dur travail de génie civil pour y accéder. Des ouvriers au siècle dernier ont mis 35 ans à y creuser une route côtière à travers des circonvolutions des coulées de lave très spectaculaires tant elles sont découpées et quasi verticales. Aujourd’hui, une autoroute est à moitié terminée et le chantier devrait finir dans les années à venir grâce à de nombreux tunnels déjà percés mais pas encore reliés entre eux. Quel travail !
Une part de pizza au thon.
Là encore, c’est au détour d’un virage qu’on découvre tout en bas un petit joyau de village de pêcheurs, protégé par une digue : Puerto de las nieves. Nous sommes des touristes alors nous jetons un coup d’œil à tout, notamment à la plage avec aujourd’hui des vagues énormes. Elles devraient être gigantesques dans 3 ou 4 jours quand la houle des tempêtes ciara et domingos les frappera. Petite pensée pour nos amis de la métropole durement touchés.
La petite bouchée indigeste de la pizza.
Un musée qui montre et explique les peuples autochtones des Canaries, les Guanches. Il n’en reste pas grand-chose tant les espagnols ont colonisé méthodiquement ces îles. Massacres, guerres, négociations truquées, pactes et promesses trahis, déportation et esclavage, isolement et enrôlement des enfants, christianisation, la routine, quoi. Les Guanches vivaient manifestement en collectivité, vu que les maisons issues des fouilles archéologiques n’ont que deux parties, une centrale et une chambre et pas de fenêtre. Il n’y a pas de trace de cuisson dans les maisons. Il n’y en a que dans un bâtiment circulaire où l’on pouvait s’assoir en face une table centrale creusée dans la roche qui servait donc de cantine. Une autre culture. Une de trop, aux yeux des espagnols de l’époque.
La part du chef.
Si le chef est un type qui habite le coin, alors il habite l’un de ces petits villages de la partie Nord, coincés entre les pentes des volcans et la mer, côté « humide » de l’île. Humide veut dire qu’il y pleut plus qu’ailleurs, pas qu’il y pleut beaucoup. Galdar, Moya, Arucas, Terror ou au centre, vers San Bartolomé ou Fataga. La vie est typique, les centres villes bien décorés, les extérieurs imitant quelques fois les bidonvilles, des jardins, pas de magasins superflus, des commerces de proximité et des petits supermarchés, des routes sinueuses, quelques sources, très peu de touristes.
La grosse part de la pizza, celle d’Obélix.
En fait le chef habite à Las Palmas. 400 000 habitants, un port de commerce, un port de voyageur, des marins, des industries, des centres énergétiques, des centres commerciaux, des habitations de grande hauteur, des quartiers rupins, un musée Christophe Colomb (comme presque partout C. Colomb a laissé une trace, disons que tout le monde récupère sa célèbre image), un marché, un quartier historique, un aquarium, des rues, routes, autoroutes, parking, ronds points, échangeurs, poteaux électriques, des voitures, des gens, plein de gens. Une vraie ville !
La meilleure part de la pizza.
(à nos yeux, modestement, juste à nos yeux). Le centre de l’île fait penser à Jurrasic Park en plus sec. La découpe des volcans est l’œuvre d’un artiste fabuleux. C’est beau. On le voit depuis la mer, on le pressent quand on longe la route côtière, on le vit quand on aborde la montée. Les couleurs. Les formes. Les falaises. Les sommets. Les paysages. Les petits villages aux maisons blanches agglutinées au détour d’une partie moins escarpée d’un « Barranco », terme espagnol pour désigner une falaise ravinée. C’est exactement ça. Bien sûr, le plus spectaculaire est la vue d’en haut. Alors on monte le long du Barranco de Guayadeque ou par San Bartolome vers le « Roque Nublo ». J’en ai vu, des cailloux, mais celui là alors ! 80m de haut, un parallélépipède de basalte en haut d’un volcan, on le dirait posé là juste pour nos yeux.
Comme il fait beau, on a la vue à 360°. Il fait si beau qu’on voit au loin le Teide, le volcan qui domine Ténérife, la grande île voisine.
La pizza est terminée.
P&F
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