23 janvier 2024 Néphyla doit continuer son vol jusqu’au bout, jusqu’à la Martinique
Pierrot, si je me souviens bien, avant le récit de la vague, tu disais que tout n’allait pas bien sur Néphyla, le pilote automatique et le moteur en panne et je ne sais plus quoi d’autre ?
Ben oui, en fait, la vague n’a pas fait que de grosses émotions, elle a aussi trempé le cul de Néphyla dans l’eau pendant un bon moment bien trop haut au-dessus de la ligne de flottaison. Alors quand on a voulu démarrer le moteur pour recharger les batteries, comme tous les soirs, le moteur a toussé, vibré, mais n’a pas démarré.
Ah !
Comme tu dis, Ah. Tu n’as pas un petit conseil à me donner pour nous sortir de la situation un peu critique qui commence à s’installer ?
Moi ? Mais je ne suis qu’un artifice littéraire que tu as inventé pour répondre à des questions
Juste. Alors, cher artifice littéraire, d’après toi, comment j’ai fait ?
Ben raconte, je donne ma langue aux poissons volants
Dans le bateau, nous sommes deux, tu te souviens ?
Oui, Florence et toi.
Et bien Florence, quand le moteur n’a pas voulu démarrer, a recommencer à prendre les choses en main. Elle a téléphoné à Jean-Mi via le téléphone satellite Iridium. Moi je barrai mais j’ai tout entendu. Jean-Mi pense que blabla, Jean-Mi pose la question blabla, Jean-Mi conseille Bla bla.
Et alors ?
Ben moi j’étais scotché à la barre, avec la confiance en ma main gauche pour diriger le bateau, mais pas beaucoup d’autres possibilités de penser. Les vagues, le vent, les grains, tenir la barre, tenir encore… Fatigué, le Pierrot, fatigué.
Mais ça ne peut pas durer Pierrot, tenir la barre, seulement tenir la barre, il vous restait combien de miles à parcourir, combien de temps de navigation pour arriver en Martinique ?
Je ne sais plus, trop, beaucoup trop, du genre 2 ou 3 jours. Et tu as raison, c’est exactement ce que Florence a dit : « Pierre, pourquoi on n’essaierait pas de faire ce que Jean-Mi a conseillé ? ». On était en fin de transat, partis depuis plus de 15 jours, à faire des quarts de nuit où, il faut bien le reconnaitre, le sommeil est quand même moins tranquille que dans un lit ou même dans le bateau au port ou au mouillage. Là, ça remue tout le temps, il y a le stress de la météo, le stress des vagues, le stress des grains puis maintenant du moteur en panne, des batteries qui se vident et du pilote automatique qui ne pourra pas nous aider tout le temps.
« Pierre, pourquoi on n’essaierait pas ? »
Alors Florence et moi, on a échangé nos places, Florence à la barre et moi au démarrage du moteur. Débrayer l’hélice (c’est la bonne idée de Jean-Mi MERCI !!) pour ne pas qu’elle tourne et voir ce que le moteur donne… Pata patâ pabro âtpatäbrou pñatapatçabroum broum broum. C’est gagné. Ca tourne, ça patate mais ça tourne et ne vibre plus comme avant. Avec l’hélice, ça donnait l’impression que le moteur allait s’arracher.
Néphyla a un moteur qui tourne sans hélice au régime de 1500tr/mn, exactement ce dont on a besoin pour recharger les batteries, avoir encore une radio, des instruments et même, si ça veut durer un peu, encore une ou deux heures et qu’on choisit bien le timing, on pourrait aussi confier le pilote automatique aux moments plus calmes.
Mais il ne faut pas trop rêver, les moments plus calmes, c’était avant. On entre dans une zone ou les modèles météo les plus fiables annoncent beaucoup de vent et des plus grosses vagues dues à une dépression dans l’Atlantique nord qui a généré une grosse houle courte (5 secondes) qui arrive du nord. Exactement ce dont on n’a pas besoin, vu que c’est déjà ce qu’on a, alors si ça doit être moins bien, ce ne sera plus calme du tout.
Mercredi 24 janvier : Pas facile, cette fin de transat. Nous sommes obligés de barrer souvent, dès qu’un grain approche et jusqu’à ce que le calme revienne quand il est passé. On a fait un peu trop de nord pour éviter que le génois dévente et claque et il va falloir changer de bord, sinon, on va directement dans la côte au vent de la Martinique. Il nous faut faire le tour par le sud de l’île, laisser le phare à tribord et longer la côte. Donc enrouler le génois pour le faire passer devant l’étai largable, empanner puis le relâcher de l’autre côté, tout ça assez vite car le bateau sans grand voile n’avance plus très vite et se fait chahuter très fort. On attend, les trois grosses vagues passent, et vite on réalise la manipulation. Nous sommes maintenant bâbord amure et je m’aperçois que je ne sais plus barrer sur ce côté. Je suis resté bloqué dans mon schéma des quinze derniers jours. Florence n’a pas ce problème, elle tient le cap sans soucis comme elle sait le faire avec Néphyla depuis qu'on a le bateau malgré la fatigue et la situation plutôt difficile. Nous visons un point imaginaire entre La Martinique et Ste Lucie, l’île juste en dessous du département français. Dans quelques heures, il faudra revenir tribord amure pour nous rapprocher définitivement de notre destination finale.
Et ben Pierrot, tu nous avais dit que cela n’allait pas être facile, c’est vrai, ça n’a pas l’air évident, mais là, c’est bon, non, vous approchez.
Tu te souviens de tes cours de géométrie ?
Heu, oui, tu me poses cette question pourquoi exactement ?
Et bien pour savoir quand empanner, il faut faire de la géométrie. On trace sur la carte les lignes qu’on a déjà suivies et on projette plus loin sur le trajet à réaliser des lignes qu’on devrait suivre. Avec un parallélogramme, on trouve un point où il est bon de virer. Tu comprends ?
Mmmouais, disons que je te fais confiance, moi, les maths... Ca donne quoi ?
Ca donne que, bien fatigué, à la barre depuis plus de 24 heures avec la navigation pas facile, tu as peur de faire une mauvaise estimation et de te retrouver sur les rochers, alors tu prends de la marge. Finalement on tourne et je vais prendre une heure de sommeil pendant que Florence barre. Dodo. J'ai confiance.
Dring, Pierrot, Dring, faut-y aller !
Jeudi 25 janvier. Il est minuit et nous devrions enfin toucher terre bientôt. Sauf que mon estimation d’hier était une estimation… la réalité est que nous sommes loin des rochers et du phare, nous sommes 5 miles plus au sud. Les grosses vagues traversières nous ont poussés vers le sud. Beaucoup.
Et alors, vous avez déjà fait plus de 2000 miles, il en reste 5 à faire, ça ne devrait pas être un problème.
On ne peut pas tourner vers le nord, vers le Marin. Les vagues nous en empêchent. Le vent fort dans notre petit génois nous en empêche. Il faut avancer et attendre que la terre nous protège, que la côte sous le vent nous offre sa protection. L'idée fe Florence c'est d'attendre, même si il faut aller mouiller jusqu'à Fort de France. Finalement, nous irons presque jusqu’au Rocher du Diamant, quelques 10 miles plus loin. Demi-tour enfin possible, nous lofons, nous hissons la grand voile à deux ris et cap enfin vers Le Marin au près serré sur une mer « plate ». Comme dit Florence « Enfin nous naviguons au près, cela fait 9 mois que nous faisons du vent arrière ! »
Cool maintenant c’est tout droit !
Ah ah ah, 10 miles à remonter contre le vent ce n’est pas tout droit, c’est justement le contraire, il faut tirer des bords et comme disent les anciens :
« Au près, c’est deux fois la distance et trois fois la peine ». Mais pour nous c’est une délivrance, nous savons que la fin est au bout de l’étrave. Le soleil pointe son nez, la lumière est belle, nous voyons mieux les grains arriver, qui continuent de nous arroser et de donner de belles accélérations (passage de 10kt à 28 nœuds en 3 secondes ! LOL). Aucun de nous deux n’a dormi depuis plus de 50heures à l’exception d’une courte sieste d’une heure et pourtant nous ne ressentons pas la fatigue. Les hormones du stress nous tiennent droit sur le pont.
Après 4 heures face au vent, il est temps de laisser filer l’ancre devant l’anse Caritan, près du village de Ste Anne, 5 mètres de fond de sable fin, arrivée à la voile sans moteur sous GV, l’ancre accroche facilement.
Nous nous embrassons. C’est fait, Florence, c’est fait, nous avons traversé l’Atlantique. Le Duocéanique découvre le nouveau monde, la Martinique est là, juste là.
Jeudi 25 janvier, même jour, quelques heures plus tard, nous avons plongé sous le bateau pour enlever le morceau de filet de pêche qui empêchait l’hélice de tourner, nous avons averti le port à la VHF, canal 9, de notre arrivée et après une dernière petite navigation au moteur qui toussote mais qui nous pousse encore un petit peu, entre dans les passes du Marin, entre les bateaux au mouillage, entre ceux accrochés aux très nombreuses bouées, en faisant bien attention aux couleurs des signalisations vert/rouge qui sont ici aux Caraïbes à l’envers de l’Europe, rouge/vert… Jean-Mi et Sandra sont là, sur le ponton, 5 minutes après notre arrivée. Bises.
Néphyla est au ponton 1, place 158 du port du Marin, La Martinique.
P&F
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