08 octobre 2024 Néphyla est encore au ponton du Monte real Club de Yates à Baiona, Espagne

Depuis le début de ce blog le samedi 29 avril 2023, depuis le lendemain, début de notre périple autour de l’Atlantique il y a 18 mois, depuis le début de notre relation Florence et moi il y a 7 ans, depuis ses débuts au club de voile de Marseille il y a 15 ans, depuis mes premiers vols en compagnie de mon père il y a plus de 50 ans, la météo a été au centre de notre vie en l’air ou en mer. Quand je dis « au centre », ce n’est pas seulement une image ou une grande phrase c’est, ce doit être et rester, le point d’origine de toutes les décisions quand on navigue.
Durant la traversée de la Guadeloupe aux Açores, j’ai eu l’opportunité malheureuse de naviguer avec un idiot ce qui m’a permis de mesurer à quel point une pensée simpliste peut amener rapidement à des mauvaises décisions et très rapidement ensuite à des catastrophes. Naviguer n’est pas simple. L’organisation intellectuelle qui préside aux décisions est différente chez chacun de nous mais, pour que les choses durent, la météo doit être dans le cercle restreint des priorités et passer aux premières places en termes de chronologie. En premier, que veut-on faire, avec qui, avec quel bateau, en second est-ce possible considérant la météo et ensuite le reste. Chaque matin la question se repose sans nous laisser nous reposer.
Le plus important c’est la coque du bateau, si elle casse ou qu’il y a une voie d’eau, nous n’arriverons jamais. Le plus important c’est le mat et les haubans, s’ils cassent, nous n’arriverons jamais. Le plus important c’est la navigation, si nous ne savons pas où nous allons… idem avec les voiles, les cordages, l’énergie électrique pour les instruments, la quantité de diesel pour le moteur, que dire de l’eau à boire en quantité et qualité suffisante, idem de la nourriture. La vérité est toujours complexe et multiple. Dans le cas de la navigation à la voile, la météo doit être dans le premier cercle des questions qui ont des réponses positives. CQFD.
Si je vous parle aujourd’hui de météo, ce n’est pas pour faire un cours, je connais mes limites et les vôtres. C’est pour vous faire partager un peu de notre quotidien, notamment pour expliquer la raison pour laquelle nous avons attendu 15 jours à Ponta Delgada aux Açores, pourquoi nous avons du atterrir à Baiona en Espagne et non à La Rochelle et finalement (l’exemple d’aujourd’hui) pourquoi nous allons attendre encore quelques jours avant de continuer et finir notre périple.
« Le chef du planning, c’est le temps qu’il fait, qu’il fera, le vent et la hauteur des vagues. »
Grace à des outils modernes, nous connaissons le temps qu’il fait et pour partie le temps qu’il fera. Exemple d’un petit point météo au 05 octobre 2024 sur Baiona même (pour notre confort au port) et dans les jours qui viennent pour naviguer vers La Rochelle :
Grace à l’application « Windy » disponible sur smartphone et ordinateur gratuitement pour tout le monde pour toute la planète, qui donne le vent, le vent en altitude, les vagues, la houle, les poussières, les orages, la pluie, le brouillard, etc. Il suffit de s’entrainer à cliquer un peu partout et un monde s’ouvre à vous. Ci-dessous un exemple où l’on voit le vent qu’il fait, en bleu très peu de vent, en vert idéal pour naviguer, en orange c’est musclé, en rouge les coins à éviter et en violet là où on casse tout.

Un autre exemple ci-dessous pour la même zone, on regarde ici la hauteur des vagues : en bleu peu de vagues 1,5m de hauteur, en rose 2,7m, en rouge 4,2m, au centre du rouge 6,4m. Notre bateau peut supporter jusqu’à 3m ou 4 m de vagues suivant le sens du vent. Au-delà, c’est vraiment contre indiqué !!

La suite de l’explication ci-dessous, on zoome pour voir le coin nord ouest de l’Espagne, la Corogne et Vigo là où nous sommes ainsi que la France jusqu’à la Bretagne. On regarde cette fois le vent en rafale qui est en fait celui que l’on doit considérer quand on choisit les voiles à installer, grand génois ou petit foc, grand voile haute ou prise de 1 ou 2 ou 3 ris. Ici, notre trajet pourrait passer par un endroit avec 32kt de vent, avec des vagues de 2m, en plus des cargos très nombreux dans ce coin de mer très fréquenté. Partir ou ne pas partir ?

Maintenant, le futur « hypothétique » calculé par les modèles météo. La probabilité que le scénario prévu se passe comme le modèle décroit avec la durée du temps qui passe. A deux jours, c’est presque certain, à trois jours moins certain, etc. Certains modèles prévoient à 15 jours en avance, mais nous savons Florence et moi que les chances sont très faibles d’avoir la météo telle quelle deux semaines plus tard. Nous faisons raisonnablement confiance jusqu’à 4 jours. Ensuite…
Le vent prévu ci-dessous le lendemain dimanche 06 octobre même modèle, toujours le vent en rafale qui pourrait nous permettre de partir mais le vent prévu le mercredi 09 octobre sur le deuxième carré. Hummm, disons qu’il vaudrait mieux ne pas avoir pris la mer !!

Entre parenthèse, ceux qui liront ce blog avant le 09 octobre auront la chance de savoir à l’avance que ça va souffler fort entre La Rochelle et Nantes. Pour info, 60kt, c’est 110 km/h.
Nous avons donc décidé de rester au port de Baiona jusqu’à ce que le temps se calme. Nous pourrons même aller voir les « belles » vagues qui vont faire un spectacle sans doute extraordinaire assis sur les rochers en hauteur, bien à l’abri dans nos cirés et nos bottes.

Je pourrais continuer à vous parler de météo pendant 5 pages, décrire par exemple la vitesse de déplacement des phénomènes météo. Un cyclone ou une dépression se déplace 3 fois plus vite que notre bateau, c’est peut-être un détail pour vous, mais cela veut dire qu’on ne peut pas s’échapper d’une situation qui nous arrive dessus si facilement que ça. Merci aux prévisions.
Nous sommes passés dans des endroits à la météo particulière, comme La Corogne, le cap Finisterre et la Costa Da Morte, dans notre exemple qui est un coin pour le moins « venté ». Quelques milles marins plus au sud, le brouillard des ports portugais (même au mois de juillet ou d’août), les phénomènes d’accélération de vent bien connus des navigateurs autour de chaque île des Canaries, les alizés qui sont des vents immuablement dirigés vers l’ouest depuis le Sénégal vers les îles de la Martinique et de la Guadeloupe, les cyclones entre le 01 juin et le 30 novembre aux Caraïbes, l’anticyclone des Açores bien connu de tous ceux qui regardent la météo à la télévision, etc.

Voilà un aperçu des informations que nous regardons avant chaque navigation. Je vous épargne le fait que nous analysons 3 ou 4 modèles météo pour les comparer entre eux, sur plusieurs jours à l’avance, pour les critères de vent, vent rafale, houle et vagues, orages, visibilité, sur plusieurs dates de départ, que nous calculons notre trajectoire en fonction justement de plusieurs hypothèses de vent suivant les jours de départ, etc. Nous avons plusieurs autres applications spécialisées du même genre que windy que nous regardons aussi. En fait, on y passe nos matinées.
Ils sont fous ces marins !
En fait, pour tout vous avouer, nous avons aussi fait appel à Michel, un « routeur » pour notre sécurité et parce que nous ne sommes pas des spécialistes !! Un routeur, c’est une personne qui est à la fois météorologue et navigateur qui a une réelle expertise sur l’évaluation des conditions de mer que nous allons rencontrer sur notre parcours. Michel nous a conseillé et suivi entre La Guadeloupe et les Açores. C’est lui qui nous a envoyé un message le 21 septembre via notre téléphone satellite quand nous naviguions entre Les Açores et La Rochelle qui disait : « Voici la météo des jours à venir…. Bla bla… voici les points géographiques conseillés pour votre parcours … bla bla… Etre à l’abri le 24. Coup de vent prévu le 25/09. » Un coup de vent en météorologie, c’est un vent entre 62 à 74 km/h, un peu trop pour nous, sans compter les vagues ! Merci Michel.
Voilà pourquoi nous n’avons pas dépassé nos limites, voilà pourquoi nous restons au port aujourd’hui, voilà une des raisons pour lesquelles nous allons bientôt pouvoir embrasser nos familles, amis et copains après un tour de l’Atlantique en couple en voilier sans être natif ni l’un ni l’autre de Paimpol ou de St Brieuc, comprend qui veuc, comprend qui peuc.

Je ne peux terminer ce blog sans évoquer un point supplémentaire. Nous avons presque tous, je l’espère, fait la différence entre deux sciences :
- la météorologie, qui analyse des données de température, pression atmosphérique, vitesse de vent, hygrométrie, pluviométrie sur un temps court, de quelques heures à quelques jours,
- la climatologie, qui analyse les mêmes données de température, pression, vent, hygrométrie, pluviométrie sur une échelle de temps plus long, des mois, des années, des dizaines d’années.
Les phénomènes météo décrits dans la première partie sont de l’ordre de la météorologie. Ceux qui occupent nos bateaux copains restés en Martinique, je pense à Jean-Mi et Sandra à la Martinique, sont les dépressions tropicales et les cyclones. Ci-dessous, une statistique sur plusieurs années, c’est donc le début de la climatologie.

En rouge les cyclones très forts, en jaune les tempêtes dangereuses mais moins puissantes, en bleu les dépressions. On voit qu’en général, les phénomènes suivent une trajectoire qui part de l’Afrique vers les caraïbes puis remonte vers le nord et la côte américaine pour finir vers l’Europe. Il y a beaucoup d’exception de trajectoire mais c’est le schéma général qui compte ici.

J’ajoute le tableau suivant que j’ai reconstitué à partir des données brutes de Météo France disponibles en ligne.

Ces données peuvent nous montrer à peu près ce que nous voulons voir. Je me suis essayé à faire des tableaux pour présenter ces données. Les premières courbes, les données brutes.

Ensuite, toujours les même données, j’ajoute en rouge une tendance (linéaire) qui montre qu’on passe en 75 ans de 9 à 16 phénomènes dangereux par an (+56% sur la période).

Et puis les mêmes données et une autre tendance (polynomiale d’ordre 2) qui montre qu’on est passé de 13 (en 1950) à 10 (en 1986) à aujourd’hui 20 phénomènes dangereux. Vive les mathématiques !

Si on voulait faire un effet d’annonce, on donnerait seulement les dernières années, depuis 1986 par exemple. La tendance linéaire passe alors de 9 à 18, elle a doublé. Même résultat (8 à 18) avec une tendance polynomiale.
En grossissant le trait rouge, on augmente l’effet dramatique. On peut alors écrire un article qui a des chances d’être publié…
« Le nombre de Cyclones par an a doublé : + 100% ».
Note: J'ai entendu exactement cette statistique ce matin 08/10/2024 sur les ondes, donnée par un météorologue qui parlait de Kirk, le cyclone devenue tempête qui s'apporche de nous cette nuit et demain.
Alors que penser de ces données ?
Le nombre de cyclones, tempêtes et dépressions tropicales est en augmentation incontestable depuis le début des relevés en 1950. Les phénomènes les plus dangereux (cyclones de catégorie 3, 4 et 5) sont également en augmentation incontestable.
La météorologie est facile à appréhender, on regarde le temps présent, il pleut, il fait froid, il y a du vent.
La climatologie est beaucoup plus complexe. Les données se lisent sur plusieurs années, les données n’étaient pas toutes à notre disposition il y a 50 et encore moins cent ans, les évolutions sont lentes, les tendances plus difficiles à cerner.

Le mieux est, à mon avis, de faire confiance aux spécialistes. Les climatologues peuvent analyser toutes les données et choisir les tendances les plus significatives en évaluant de nombreux autres paramètres moins faciles et moins connus du grand public liés à ces phénomènes, sans être tenus par des besoins et pressions externes, comme peuvent l’être les journalistes, les politiques ou les assureurs. Ils sont réunis depuis de nombreuses années dans des groupements professionnels dont le plus connu est le GIEC. Il existe aujourd’hui (enfin) une traduction en français des résumés de leurs travaux. Il existe aussi des travaux scientifiques qui ont cherché les causes de l’augmentation de ces phénomènes. Je vous laisse deviner ce que je vais écrire : Pétrole, gaz et charbon. Pour l’instant, aucun effet notable n’a été relevé dans la population ni au sein des instances dirigeantes suite aux résultats du « dérèglement climatique ».
P.
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